Un éléphant de mer d’environ cinq semaines
Un éléphant de mer d’environ cinq semaines sort de la mare où il passe une bonne
partie de la journée à jouer avec les nombreux autres jeunes nouvellement sevrés
qui s’y sont regroupés, © Loic Le Ster - Institut polaire français

3 semaines pour devenir un « bonbon »

jeunes éléphants de mer
La désignation de « bonbons » donnée aux jeunes éléphants de mer, dans un langage qui est spécifique aux îles subantarctiques françaises, se réfère à leur silhouette rappelant la forme d’une friandise emballée dans son papier : un corps bien gras au sevrage, duquel dépassent leurs nageoires, © Loic Le Ster - Institut polaire français.

À Kerguelen, on appelle « bonbons » les jeunes éléphants de mer nouvellement sevrés. Depuis leur naissance jusqu’au sevrage, les nouveaux-nés ont environ trois semaines pour emmagasiner un maximum de réserves. Cette première période de leur vie est déjà remplie d’embûches et de péripéties, dont voici le récit.

C’est l’histoire de la vie

Une femelle éléphant de mer arrivée récemment sur la plage relève les nageoires caudales et semble se tordre de part et d’autre depuis quelques minutes : elle s’apprête à mettre bas.
En quelques minutes, le nouveau-né est éjecté, dans l’indifférence de ses voisines qui sont déjà bien occupées à allaiter leur petit. En revanche, les pétrels, skuas et goélands n’ont pas manqué le rendez-vous car c’est l’occasion pour eux de grappiller sur cette plage un peu de nourriture parmi les tissus et fluides éjectés lors de la mise bas.
La mère sent son petit et lance des cris pour qu’il la reconnaisse. La phase de reconnaissance auditive entre le petit et la mère est importante car c’est souvent par des échanges de cris qu’ils vont parvenir à se retrouver et à se maintenir l’un près de l’autre au sein du groupe. Dans le même temps, la mère protège son petit en repoussant les nombreux oiseaux encore présents autour d’eux. Ces oiseaux se montrent parfois très voraces et, si la mère n’intervient pas, ils peuvent finir par attaquer le nouveau-né pour se nourrir de sa chair.
Une femelle sent son petit à qui elle vient de donner naissance
Une femelle sent son petit à qui elle vient de donner naissance. Les oiseaux se nourrissent des fluides et tissus éjectés lors de la mise bas
© Loic Le Ster - Institut polaire français.
Quelques dizaines de minutes plus tard, le calme retombe et le petit, encore bien fébrile, se lance à la recherche des mamelles de sa mère qui se positionne sur le côté pour les rendre accessibles. C’est un lait bien gras que le nouveau-né va devoir ingérer au mieux dans le but de prendre le maximum de poids pendant les trois courtes semaines que la mère consacre à l’allaitement.

Péripéties de nouveaux-nés

Le groupe formé par les femelles sur la plage est très dense. Elles sont espacées de moins de deux mètres l’une de l’autre. Parfois même elles se touchent. Juste derrière le nouveau-né, en se retournant, une femelle a bousculé un petit qui tétait. Surpris, celui-ci se trouve momentanément un peu perdu. Il rampe alors comme il peut vers la première femelle qu’il voit pour reprendre sa tétée, mais il se trompe car il ne s’agit pas de sa mère. La femelle, ne reconnaissant pas son petit, mordille alors ce nouveau-né pour le faire fuir car elle réserve toute son énergie et le lait qu’elle produit à sa propre progéniture.
jeune éléphant de mer
Un jeune éléphant de mer d’environ une semaine tète sa mère, © Loic Le Ster - Institut polaire français.
À quelques mètres de là, le grognement du mâle dominant installé au cœur du groupe s’est fait entendre. Il semble vouloir écarter un autre mâle qui s’approche avec insistance de la zone où, pour l’instant, il a installé sa domination. Sans plus attendre, le mâle dominant lance une charge et fonce droit sur son rival, sans se préoccuper de ce qui se trouve sur son passage. Le nouveau-né a eu de la chance, ce mâle de presque deux tonnes lancé à toute vitesse lui est passé à quelques centimètres et il s’en sort indemne.

Intrusion scientifique

En plein après-midi, alors qu’un petit tète tranquillement, sa mère lève la tête et voit deux silhouettes longilignes aux couleurs vives qui passent à quelques mètres. Elles s’insèrent doucement en bordure du groupe : ce sont les scientifiques qui s’approchent pour baguer le nouveau-né d’une de ses congénères et le suivre pendant sa croissance. Ils ne semblent pas menaçants alors elle décide de les ignorer.
Jour après jour, le nouveau-né prend du poids et gagne en mobilité. La femelle aperçoit régulièrement ces trois humains qui continuent de passer pour vérifier visuellement le bon état de santé des petits qu’ils ont bagués.
Quelques jours plus tard, au moment du sevrage, l’équipe pèsera et mesurera les cent jeunes qui font l’objet d’un suivi depuis leur naissance. Ce travail, que les scientifiques réalisent déjà depuis de nombreuses années, permet de mieux connaître l’espèce Mirounga leonina (éléphant de mer austral) et plus spécifiquement la population de la colonie présente sur les plages de la côte Est de l’archipel des Kerguelen.
Des jeunes sevrés jouent en bordure de plage, © Loic Le Ster - Institut polaire français.

L’heure du sevrage a sonné

La femelle, qui ne se nourrit pas depuis qu’elle est arrivée sur la plage quelques semaines auparavant pour mettre bas, a consommé une grande partie de ses réserves de lipides. Elle doit mettre fin à la période de lactation et repartir en mer afin de les reconstituer. Elle rejoint l’Océan et laisse derrière elle son petit désormais devenu bien gras. Ce dernier comprendra après quelques cris lancés dans le vide et quelques petites morsures reçues de la part des autres femelles, qu’il est temps pour lui de rejoindre ses congénères du même âge plus haut sur la plage afin de poursuivre seul sa croissance grâce aux réserves qu’il a amassées.
Ce nouveau-né devenu « bonbon » passera encore environ cinq semaines à terre à jouer avec ses semblables, puis il s’aventurera dans le grand Océan pour apprendre lui-même à plonger et à chasser les poissons et calmars dont il se nourrira au cours de sa vie.
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